En temps « normal » il m’arrive souvent de penser à tous ces milliards de gens que l’on ne connaîtra jamais… ainsi qu’à ces quelques personnes que l’on croise, puis qui disparaissent en nous laissant ce goût de trop peu. Qui est-il/elle qui nous a fait vibrer sans que l’on on ne sache jamais pourquoi ? Comme un reflet de lumière dans une fenêtre qui s’ouvre ou qui se ferme. Fugasse, souvent. Insistant parfois.
En ce temps de confinement, comment ne pas penser sans cesse à ceux que nous aimerions avoir en face de nous, aux échanges de regards, de sourires, de tendresse avec nos proches, familles, amis, connaissances, collègues, et autres accompagnants plus précieux qu’on ne le croit ?
Et puis, puisqu’on a le temps, pourquoi ne pas penser à tous ces gens qui ont existé avant notre passage sur terre ? Qui voudriez-vous connaître ? Si je pouvais choisir de rencontrer l’une de ces personnes, sans hésitation aucune, je choisirais Johannes. Johannes Brahms. Parce que sa musique me parle, me remplit, me traverse, fait vibrer la moindre de mes cellules. Mais aussi parce qu’à travers sa musique, c’est l’homme que je suis curieuse de connaître. Quand j’écoute et je joue sa musique, c’est son coeur que je devine, c’est « sa » voix d’homme que j’entends. La sienne, ou la mienne, ou celle de l’univers …comment savoir ? Cela ne garantit pas que je sois digne de partager sa musique, que mon interprétation soit fidèle à ce qu’il était ou à ce qu’il y a mis. Mais cela me donne quelques fois l’impression qu’il respire avec moi lorsque ses notes émergent de mon piano. Cette sensation est l’une des plus précieuses que je connaisse. Enregistrer Brahms est bien plus difficile pour moi que d’enregistrer Debussy. Parce que cette musique est un dialogue plus qu’un récit, un dialogue avec la présence des autres, ceux qui écoutent et renvoient l’énergie des vibrations reçues, et que dialoguer avec un téléphone accroché avec un élastique n’est pas vraiment un échange. Alors, tant pis. Ce sera différent au prochain concert post-confinement ! et j’espère que vous serez là pour partager avec moi les merveilles de mon si cher Johannes dans un temps pas trop lointain.